L'église de Senon et les peintures de Nicolas UNTERSTELLER.

Pascal GROSDIDIER, mardi 10 décembre 2019 - 01:30:24


L'église de Senon et les peintures de Nicolas UNTERSTELLER.

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Senon, petit village du canton de Spincourt, dans la Meuse, pouvait naguère s'enorgueillir d'une église, dont l'origine remontait au XIIe siècle. A la fin du XVe et au commencement du XVIe siècle, elle avait été presque entièrement reconstruite par les soins de Léonard WALTRINI, enfant du pays, qui devait devenir archidiacre de l'archidiaconé de Metz, le 23 février 1518 et occuper de hautes fonctions à la Chancellerie pontificale, à Rome, où il mourut en 1544. *

Si l'église de Senon avec ses couvertures très hautes, son clocher curieux, présentait encore, en 1914, une silhouette pittoresque qui dominait la plaine de la Woëvre, bien lamentable était devenu son aspect après la cessation des hotilités : charpentes, couvertures, piliers et voûtes étaient anéantis; de la façade ouest, que surmontait une tour du XVIe siècle couronnée par une charpente au XVIIe siècle, seul le portail demeurait; des amas de décombres obstruaient le sol.

De petites dimensions, de plan simple avec une nef de trois travées, bas-côtés et choeur polygonal, cet édifice construit en belle pierre, bien appareillée, avait été particulièrement soigné. La restauration confiée en 1921 à Monsieur Nicolas UNTERSTELLER, architecte en chef des Monuments Historiques, fut faite avec science et goût ; actuellement, le gros oeuvre terminé, les aménagements intérieurs, dallages, etc., sont en voie d'éxecution. Relevée de ses ruines, l'église a été gratifiée, en outre, d'un beau décor pictural, qu'on a eu la bonne idée de demander à M. Nicolas UNTERSTELLER, originaire du pays messin.


Nicolas UNTERSTELLER


Ancien Premier grand prix de Rome, cet artiste a beaucoup travaillé pour sa province natale ; il lui a laissé, entre autres oeuvres, un magnifique ensemble de peintures murales à la Préfecture de la Moselle, qui le classent parmi les grands décorateurs de notre temps. Son talent est d'ailleurs connuet très apprécié dans la capitale. A l'art religieux, il a apporté déjà sa contribution en exécutant, avec la collaborationde Mme UNTERSTELLER, les peintures en camaïeu du porche de l'église du Saint-Esprit, avenue Daumesnil, à Paris. Il traita là, d'une manière puissante, les jours de la création et les forces matérielles et spirituelles, utilisant le procédé de la fresque qu'il affectionne, comme tous ceux qui ont le sens du décor mural. Sa maitrise en ce genre est telle, qu'il fut appelé, l'an passé, à suppléer le professeur de fresques à l'École des Beaux-Arts et qu'il a crée, cette année, un atelier de fresques à l'Académie Julian.

Nicolas UNTERSTELLER ne put recourir à cette technique pour l'église de Senon, en raison du caractère salpêtreux des murs. Ses peintures constituent une frise qui se déroule à l'intérieur, sur le pourtour de l'édifice, juste au-dessous des fenêtres. On y trouve les quatorzes stations du Chemin de la Croix auxquelles, pour achever de remplir la surface disponible, ont été ajoutées la Flagellation et la Résurrection. Appliquée au mur, chaque tableau, serti d'un cadre de bois trés sobre, est séparé du voisin par un motif funèbre traité en grisaille : une pleurante debout, adossée aux instruments de la Passion, se voile la face.

M. UNTERSTELLER est un coloriste né qui développe, d"année en année, ses dons. Senon lui posait un problème ardu : des baies placées au-dessus des peintures tombait directement une lumière susceptible de diminuer sensiblement l'éclat des couleurs. Il fallut constamment compter avec cet éclairage spécial. L'artiste s'est joué de la difficulté et la réussite est complète du point de vue pictura. De plus, l'oeuvre est, par son iconographie, absolument originale. Dans le cerveau, dans le coeur de l'artiste, le drame du calvaire a été revécu et ressenti ; à des accents d'un réalisme assez brutal, qui ne seront peut-être pas du goût de tous, il associe des notations très tendres, profondément touchantes et humaines.

Suivons le Sauveur sur la voix douloureuse depuis sa condamnation à mort jusqu'à la mise au tombeau. Devant Pilate, Jésus apparait de face, demi-nu, les mains liées, le manteau de pourpre jeté sur les épaules. Malgré les souffrances endurées, il se tient droit et ferme ; la tête couronnée d'épines est inclinée moins par un sentiment de honte que par l'effet d'une méditation intérieure. Ecce Homo a dit Pilate au peuple, qui réclame une victime.

Deux aides appuient maintenant brutalement sur les épaules du condamné une énorme croix de bois. Vêtu d'une longue robe blanche, plié en deux sous le poids du fardeau, le Christ tente d'en assurer l'équilibre. Il a trop présumé de ses forces amoindries par les tortures subies et le voici qui tombe sur les genoux ; sa main gauche projetée en avant cherche à s'agripper au sol. Entrainée dans la chute, la croix l'écrase.

Redressé, Jésus d'un pas nerveux, dans une tension de tout son être, reprend la pénible marche ; les bras levés au-dessus de la tête sont crispés sur la croix. Haletant, tête baissée, il avance sans rien voir quand surgit sa sainte mère. Celle-ci voudrait s'élancer vers lui, mais un soldat l'écarte avec violence.

On devine qu'il ne sera pas possible au martyr de soutenir longtemps son allure. Un secours précieux lui est apporté par Simon le Cyrénéen et le réconfort, physique et moral, amène une détente sensible dans l'aspect du Sauveur. Attelés chacun à l'un des petits bras de la croix, les deux hommes avec ensemble, d'un pas rythmé, gravissent le chemin du supplice en trainant leur lourde charge.

Sur les épaules de Jésus, de nouveau seul, la croix pèse ; son corps fléchit sous le faix et commence à défaillir. Sainte Véronique s'est alors approchée pour essuyer avec respect la pauvre face couverte de sueur. D'autres femmes suivent en se lamentant et c'est entouré de cette tendresse inquiète que la victime poursuit sa route.

Dans la seconde chute, plus totale que la précédente, le front de Jésus a heurté la terre ; les deux mains posées à plat sur le sol n'y prennent pas d'appui, extrême lassitude ! Un des bourreaux doit soutenir la croix complétement abandonnée par le porteur à bout de souffle et presque sans connaissance.

La faiblesse n'a été que passagère. Encore une fois le Christ a repris pied et s'oubliant lui-même, s'emploie à consoler les filles d'Israël. Il exhorte au calme les femmes éplorées qui manifestent bruyamment leur chagrin. la main gauche fait un geste d'apaisement : ""Ne pleurez point sur moi.""

L'anéantissement est absolu, quand Jésus tombe pour la troisième fois. Entrainé comme une masse, la tête la première, les bras allongés, étalé sur le sol, il ne donne plus signe de vie. La croix soulevée par un des gardes le domine et projette sur lui son ombre. Par miracle, le Christ se retrouve debout, les traits creusés, tandis qu'on le dépouille avec rudesse de ses vêtements. Il se laisse faire, sans un geste.

Voici le moment tragique de la crucifion. Le corps raidi parait vidé de sa substance, son aspect est presque cadavérique ; la tête est rejetée en arrière ; des mains déjà fixées, les doigts se redresent et le bourreau poursuit sa sinistre besogne en enfonçant à grands coups de marteau les clous qui transpercent les pieds.

Le panneau suivant nous transporte au Golgotha où le Sauveur dépasse, par sa taille elevée, l'humanité. La Vierge debout, la tête appuyée contre le coeur du supplicié, surveille avec angoisse son visage ; Marie-Madeleine, effondrée sur le sol, sanglote ; une des saintes femmes n'ayant pu supporter la vision cruelle est étendue à terre, pamée, soutenue par saint Jean. Les deux larrons accrochés au gibet comme des pantins disloqués, font ressortir la noblesse de l'homme-dieu. Chez celui-ci, la vie s'en va ; sous l'action de la pesanteur, l'être s'est affaissé, les bras se sont étirés, les genoux font saillie. C'est l'instant suprême, le dernier souffle est près de s'éteindre ; les proches, seuls présents, impuissants, guettent sur le visage vénéré les ultimes signes de vie et de douleur.

Quoique la préoccupation principale de M. UNTERSTELLER ait été de traduire exactement les souffrances du Christ en proie aux affres de la Passion, il n''a pas négligé les personnages secondaires de ce grand drame. Les figures féminines surtout, dans les manifestations de leur tendresse craintive et de leur affliction, ont été dotées d'un charme prenant.

J'aime les attitudes des saintes femmes qui se montrent, à plusieurs reprises, sur la voie douloureuse. A la première chute du Christ, l'une saisit sa tête à deux mains dans un geste d'effroi ; la seconde se cache le visage. Elles se retrouvent dérrière le Maître, quand il rencontre sa mère, puis Véronique, et crient naïvement leur peine immense.

Les voici encore au moment de la mise au tombeau revêtues de capes de deuil. Tandis que Joseph d'Arimathie et Nicodème transportent au sépulcre les précieux restes, deux d'entre elles étroitement enlacées unissent leurs sanglots, la troisième, un cierge allumé à la main, éclaire l'opération funèbre.


De la Vierge Marie, les angoisses ne sont pas moins humainement évoquées par l'artiste. Toutes les douleurs du fils trouvent un écho dans le coeur de la mère : lorsqu'il tombe pour la troisième fois, elle-même défaille. Pendant la crucifixion, agenouillée, elle ne peut s'arracher du cruel spectacle. Quand tout a consommé et que la triste dépouille lui a été rendue, Marie soulève dans ses deux mains la tête si chère et la contemple fixement pour en graver à jamais les traits dans sa mémoire.

A cette tendresse féminine qu'il traduit de manière si émouvante, s'oppose, chez M. UNTERSTELLER, la brutalité de certains personnages masculins : bourreaux et gardes ont des carrures de portefaix ; musclés puissamment, ils personnifient la force physique, aveugle, dénuée d'intelligence. On voit, par exemple, dans la main d'un garde une grosse corde, qui a été passée dans la ceinture du martyr ; celui-ci a ainsi l'air d'être tenu en laisse. Rien ne peut mieux qu'un tel détail rendre l'idée de la férocité déchainée contre un être injustement accusé et sans défense.

Des coeurs généreux et aimants existent heureusement à côté des âmes viles. Avec quelle ferveur, quel respect, Joseph d'Arimathie et Nicodème procèdent à l'ensevellissement du Christ. L'un soutenant les épaukes, l'autre les pieds, ils avancent lentement mettant le plus grand soin à préserver de tout heurt le corps du supplicié. De ce tableau sobrement traité, se dégage un sentiment de grandeur triste.

Nous ne resterons pas sur cette vision déchirante. L'artiste nous fait assister à la Résurrection. Les saintes femmes arrivent au tombeau pour y trouver un ange éblouissant de lumière, un doigt pointé vers le ciel. Jésus a quitté le sépulcre. Marie-Madeleine recule effrayée par l'apparition, sa boite de parfums échappe à sa main tremblante ; l'autre femme dresse ses bras dans un geste d'émerveillement.

Si rapide que soit cette présentation des peintures de l'église de Senon, elle permettra, nous l'espérons, d'apprécier comment M. UNTERSTELLER a su renouveler le thème du Chemin
de la Croix. Rien de grandiloquent, ni de conventionnel, nulle recherche d'effet dans ses compositions si claires, dont les acteurs s'agitent, s'alarment, se troublent, participent au drame de la manière la plus intime et la plus vraisemblable.

Avec la fidèle et compréhensive collaboration de sa femme, M. UNTERSTELLER semble engagé, pour l'instant, dans l'art religieux. L'église Saint-Pierre-de-Chaillot, récemment inaugurée à Paris, ne lui doit-elle pas la représentation de l'Église dans ses caractères essentiels : Une, Catholique, Apostolique et Romaine. Ce décor situé sur les quatres tympans, sous la coupole, a été exécuté à l'aide d'un procédé nouveau, qui incorpore véritablement la peinture à la surface murale.

M. UNTERSTELLER n'abandonne pas néanmoins la région de l'Est, puisqu'il entreprend un autre chemin de croix pour l'église d'Étain. De cet artiste, encore au début d'une carrière déjà féconde, et qui s'annonce brillante, nous sommes en droit d'attendre de nombreuses oeuvres, tant sacrées que profanes, où s'accuseront de plus en plus sa forte personnalité et ses dons de coloriste;
Source : Jeanne LEJEAUX (édité en 1936)

Echappée par miracle aux bombardements, pendant la guerre de 1914-1918, une inscription placée dans l'édifice conserve le souvenir de l'initiative prise par L. Waltrini.


Biographie de Nicolas UNTERSTELLER (tirée de Wikipédia)


Après de brillantes études aux Beaux-Arts à Metz puis à Paris il se fit attribuer le Grand Prix de Rome en 1928. Membre de l'Académie des Beaux-Arts, il sera directeur de École nationale supérieure des beaux-arts en 1948.
Bien qu'ayant réalisé des portraits, des nus ou des paysages en tableaux, il est surtout connu pour ses fresques. Il décora des édifices publics de Moselle mais aussi plusieurs ailleurs en France, de l'art sacré avec l'église Saint-Pierre-de-Chaillot, les vitraux peints de l'Église Sainte-Thérèse-de-l'Enfant-Jésus de Metz ou la peinture sur fer de l'église Sainte-Barbe de Crusnes, des oeuvres sur des bâtiments publics comme la salle d'attente de l'aéroport du Bourget ou la gare de Grenoble avec des peintures sur des panneaux d'aluminium anodisé (sa dernière oeuvre). Il a également réalisé des panneaux pour les salons du paquebot Liberté et la décoration et le dessin des costumes du ballet Hop Frog de l'Opéra de Paris en 1954.
Un collège porte son nom dans sa ville natale de Stiring-Wendel.



Les oeuvres de Nicolas UNTERSTELLER :

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Voici un article paru dans "Eglise de Verdun"



Voici un article de Marcel GROSDIDIER DE MATONS paru le 11 février 1936 dans "Le Lorrain":
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les photos et texte : François JANVIER
Conservateur des Antiquités et Objets d'Art






Merci pour leur contribution à cet article à :
Patricia WOILLARD
Françoise DUBOIS-CALEF

Article "Eglise de Verdun" :
François JANVIER
Conservateur des Antiquités et Objets d'Art



Cet article est de Senon d'Antan Meuse
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